« Biennale de Lyon » « La vie moderne », 2015
extraits du texte d’introduction de Ralph Rugoff, commissaire invité.
(…) La vie moderne est une exposition qui cherche en quelque sorte à défier les concepts futiles que nous associons au contemporain».
On définit trop souvent le contemporain comme un présent perpétuel coupé de toute racine, un présent qui se déploie comme un horizon sans fin. Pourtant, et comme le montre un rapide coup d’oeil sur les événements qui se déroulent tout autour du globe, notre paysage « contemporain » est loin d’être un champ uniforme d’originalité et de nouveauté. Dans de nombreuses régions du monde, des changements économiques et technologiques accélérés vont de pair avec une transition vers des régimes sociaux et culturels d’époques révolus. Il suffit de constater combien l’émergence globale des croisades religieuses, le retour présumé de la guerre froide, ou les disparités économiques de plus en plus aigües entre les plus riches et les plus pauvres, qui atteignent désormais des niveaux que l’on n’avait plus connus depuis le XIXe siècle, sont « contemporains ». La prétendue « fin de l’Histoire » annoncée par le triomphe du capitalisme à la fin du XXe siècle a cédé la place à un programme étrange qui mêle des «avancées» contemporaines à des rediffusions d’histoires qui ressemblent à des zombies. (…)
(…) Dans une vidéo d’Hannah Hurtzig produite pour cette Biennale, la philosophe aborde un sujet que la psychologie traditionnelle n’a pas encore complètement considéré : celui des différentes relations possibles que nous entretenons avec les gens après leur mort, les différents moyens qu’ils emploient pour continuer à nous parler et nous influencer, et les rôles continus et changeants qu’ils jouent dans nos pensées et dans nos émotions. De ce point de vue, la mort d’une personne n’achève pas notre relation avec elle, mais en change simplement les termes. On pourrait dire la même chose de la fin d’un événement, d’un mouvement, ou même d’une ère.(…)
Cette intention générale de La vie moderne reflète l’hypothèse sous-jacente que l’art est essentiel si l’on veut comprendre le monde qui nous entoure. À cet égard, cette discipline n’a pas moins d’importance que la philosophie ou les sciences. Il ne s’agit évidemment pas de suggérer que l’art peut, tout comme ces disciplines, offrir une analyse équivalente de nos conditions d’existence. L’art ne relève pas davantage du journalisme documentaire ou du reportage visant à nous informer d’une manière prétendument objective. À la différence des scientifiques, des philosophes et des journalistes, les artistes n’ont pas pour mission de fournir des réponses. En s’éloignant des modes classiques de pensée et de représentation, les artistes se saisissent au contraire des contradictions, jonglent avec différents points de vue et ignorent généralement les contraintes de la nécessité. De plus, les artistes remarquent souvent des choses auxquelles nous ne prêtons aucune attention, et dévoilent des associations et des connexions invisibles. En conséquence, leurs oeuvres ont la capacité de développer et d’exprimer d’autres perspectives. Elles peuvent donc nous proposer une alternative essentielle aux images «normalisantes» de notre paysage social, telles qu’elles sont véhiculées par les médias, la publicité, l’éducation traditionnelle, la culture d’entreprise, etc.
(…) Le pouvoir de l’art repose sur ce potentiel génératif – sur sa capacité à faire s’épanouir de multiples significations et à ouvrir ainsi des conversations potentielles, au lieu de les clore avec des assertions autoritaires. L’art se développe en posant des questions et nous demande de nous engager dans une activité identique de recherche et de réflexion (ce qui, souvent, nous rend momentanément perplexes, déboussolés ou dubitatifs). (…)
Ralph Rugoff, commissaire invité de la « Biennale de Lyon » « La vie moderne » 2015 –
Texte en entier ici : http://www.biennaledelyon.com/home/intro/la-vie-moderne.html